L’intérêt de l’embusen en forme de croix de Malte (ou croix de Saint-André) pour travailler l’irimi et le self-défense
En aikido, mais aussi dans certains styles de karaté (notamment Shito-ryu, Goju-ryu ou Wado-ryu), de nombreux katas avancés utilisent un embusen (trajet au sol) en forme de croix de Malte ✠ ou de croix de Saint-André × (aussi appelée « croix pattée » ou « huit directions »).
Cet embusen n’est pas un simple gadget esthétique : il est conçu spécifiquement pour développer deux qualités essentielles en self-défense : l’irimi (entrée décisive dans l’espace de l’adversaire) et la capacité à gérer plusieurs attaquants simultanément.
1. Pourquoi cette forme et pas une simple ligne ou un I ?
La ligne classique (Heian, Pinan) travaille surtout le déplacement avant/arrière et les angles à 45° ou 90°.
La croix de Malte ajoute quatre diagonales supplémentaires (NE, SE, SO, NO). On passe donc de 3-5 directions à 8 directions possibles.
En self-défense réelle, les attaques ne viennent jamais uniquement de face : on est souvent entouré. Cet embusen reproduit donc un environnement à 360°.
2. L’irimi au cœur du système
L’irimi (入身) n’est pas simplement « avancer », c’est prendre la ligne centrale de l’adversaire en entrant franchement.
Dans les katas en croix de Malte :
Chaque changement brutal de direction à 45° ou 135° oblige à pratiquer un irimi-tenkan ou un irimi direct très marqué.
Exemples concrets :
– Gankaku (karaté Shotokan) : les déplacements en tsuru-ashi avec pivot sur une jambe forcent une entrée diagonale très profonde.
– Seipai (Goju-ryu) ou Kurusurunfa : les virages à 135° sont de purs irimi qui placent le pratiquant immédiatement dans le dos ou sur le flanc de l’attaquant imaginaire.
– Suparinpei (108 mouvements) : l’embusen en ✠ est presque parfait et chaque segment travaille une entrée différente.
Résultat : on apprend à entrer avant que l’adversaire ne développe sa puissance, exactement ce que recherchent l’aikido et les applications réelles.
3. Gestion du multi-agresseurs
La croix de Malte simule 4, 6 ou 8 attaquants placés en cercle autour de vous.
Chaque fois que vous changez de direction, vous devez :
Gardez le zanshin vers l’ancienne direction (l’attaquant qu’on vient de neutraliser peut revenir).
Réorienter immédiatement le regard et le corps vers la nouvelle menace (irimi vers le suivant).
Utiliser le déplacement précédent comme couverture ou comme contrôle de l’attaquant au sol.
C’est exactement le scénario de self-défense le plus fréquent en milieu urbain : plusieurs personnes qui vous entourent.
4. Exercices spécifiques à partir de l’embusen en croix
Bunkai à plusieurs : 4-8 partenaires attaquent depuis les 8 directions au moment où vous arrivez au croisement central. Vous devez appliquer l’irimi du kata pour passer entre eux.
Irimi-drill : partir du centre, faire explosivement la diagonale du kata (ex. : déplacement de Gankaku vers l’arrière en tsuru-ashi) sur un partenaire qui attaque en chudan. Objectif : arriver dans son dos en moins d’une seconde.
Randori en croix : les attaquants se placent aux extrémités des branches de la croix. Vous démarrez au centre et devez neutraliser successivement chacun sans jamais reculer hors de la croix.
5. Katas les plus représentatifs
Karaté : Gankaku, Nijushiho, Gojushiho Sho/Dai, Seipai, Kururunfa, Suparinpei, Unshu…
Aikido : certains exercices de jo ou de ken utilisent aussi des déplacements en ✠ (notamment dans les écoles Iwama ou Saito sensei).
Conclusion
L’embusen en croix de Malte ou croix de Saint-André n’est pas une coquetterie japonaise : c’est un laboratoire extrêmement sophistiqué pour entraîner l’irimi sous pression multidirectionnelle.
Celui qui maîtrise vraiment ces katas ne se contente plus d’avancer en ligne : il devient capable d’entrer décisivement quel que soit l’angle d’attaque et de gérer un environnement hostile à 360°.
C’est précisément pour cela que ces formes sont généralement enseignées à partir du niveau ceintures noires : elles révèlent le véritable cœur martial des arts traditionnels.
« Le kata ne ment jamais : il te montre exactement ce que tu dois pouvoir faire le jour où on sera plusieurs contre toi. »
(Proverbe de dojo souvent entendu chez les pratiquants de Goju et Shito-ryu)

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